Un matin de l’année Un-Roseau, aux abords de Chichen-Itza, Topiltzin s’arrêta un instant pour boire à la fontaine des mots une longue gorgée d’images fraîches. Car, d’abord, il lui fallait des mots, beaucoup de mots, peut-être pour faire correspondre le rêve à la réalité, peut-être aussi pour faire de l’Autre un Unique, un Visage de chair neuve lu dans le matin naissant.
Ce matin-là, Xiuhtlamin, celui qui flèche le feu, eût l’idée de viser l’œil derrière l’œil du Soleil. La couleur rouge de la naissance qui était à l’est où le soleil se levait chavira dans la couleur blanche du nord qui était la couleur du lieu de la transformation. L’Archer de l’aube se mit abruptement sur ses pieds et écarta ses quatre membres, et ses quatre membres écartés formèrent une croix.
Au bout d’un temps de silence, les devins s’aperçurent que le Jour Quatre Mouvement se créait. L’une des quatre routes était rouge comme la nature divine du Grand Artiste, une autre était noire comme l’habitant de l’inframonde, une autre était blanche comme l’animal et une autre était jaune comme l’homme.
Rouge à l’est et en haut, comme les grands courants d’étoiles recouverts d’or pourpre dont le halo lumineux attirait irrésistiblement les yeux.
Jaune au sud et à gauche, comme une incroyable innocence dans la terre chaude, la terre serrée dans la couleur que faisait une main d’étoile qui s’ouvrait.
Noir à l’ouest et en bas, comme les lieux d’un autre monde que les vents avaient respiré et vu derrière le bleu soutenu de la nuit, loin, très loin, là où l’intérieur d’une forêt transmettait la lumière de l’aurore.
Blanc au nord et à droite, comme les nuages qui changeaient à tout instant de lumière et ne découvraient leurs vraies harmonies qu’aux grands chasseurs de signes, et Topiltzin savait qu’au matin de leurs aspirations vers le beau, il n’était qu’une chambre : la chambre de l’eau-esprit.
Les étranges sources profondes avaient ému la vérité de son corps. Il était donc là l’acte de naissance qui permettait aux enfants de Quetzalcoatl d’avoir droit à leur chemin d’étoiles.
La Maison rouge de l’aurore avait deux entrées : l’une sur les forces du feu, de l’eau, des nuages ; l’autre sur les forces du vent, des arbres, des astres. De la tête, il fit signe que ce monde était tout ce qu’il y avait de nouveau devant lui. Car quelque chose dans son être venait de s’éveiller : il avait l’impression que l’esprit Soleil se faufilait entre une multitude d’univers et dessinait sur la Voie Clarté quelque chose de si complètement inconnu et merveilleusement nouveau qu’un seul souffle retenu pouvait rejoindre l’ultime lumière dans un matin d’or du lieu de l’émergence.
Mais là, parmi les filaments flottants d’un port de l’espace, vers l’est rouge où planait l’Oiseau du Temps, un invisible naturel offrait sous tout ce bleu de surface une prise aux mouvantes et émouvantes lignes d’air et de vent.
Il y eut un silence enveloppé de bleu, puis une voix dit doucement : Tu crois avoir attendri seul de la couleur, mais une présence était là, qui a soulevé l’écho d’une autre, qui elle-même a soulevé l’écho d’une autre toute autre, qui elle-même… ainsi de suite jusqu’à l’instant-fenêtre qui te revient.
L’homme occidental sait-il encore s’éblouir d’aurores au départ des champs d’azur ? Il-lui-l’homme-moi-je n’ai jamais soulevé qu’un coin de lumière soudainement aspiré par le sable. Près de la mythique Tollan, un artiste-prêtre avait vu un enfant qui aurait pu être l’incarnation d’un envoyé de l’Esprit sur terre et le grand conducteur du peuple Toltèque. Il est vrai qu’il pouvait, aussi bien, ne l’être pas.
