Enfant, je découpais les instants et les espaces à ma taille, ainsi que les couleurs de l’infini. Pour moi, le mot Oiseau était un mot au coin des yeux. Ses grandes ailes se réunissaient pour saisir de l’air bleu. Et l’enfant homme songeait : C’est une étrange chose d’être un mot qui s’harmonise à l’universel, un mot qui écoute s’il pleut très loin, très haut du côté d'Eridan, d’Antarès ou d’ailleurs. Un mot silencieux comme un arbre ou une source, la lune. Vraiment ce mot en est un du ciel et d’outre-ciels.
Aujourd’hui encore, une voix intérieure en forme de petite étoile me demande : As-tu remonté l’espace libre occupé par les oiseaux ? L’enfant dans homme répond : En imagination, oui. Et puis, qu’as-tu fait ? Cet autre que toi, tes ailes dans leur vol le dessinent entre les arbres et les nuages, peut-être ? Quelles paroles ailées cela fait naître chez celui qui se risque à cette tentative ?
Avant d’avoir le temps de répondre, j’ai l’impression d’une présence. Tout en cherchant les mots dans la barque du poème, point de départ elle-même d’infinies respirations d’eau solaire, je prononce d’abord : « cet éclair-serpent », puis : « ce feu soudain », puis : « ce bel oiseau ». Il me semble alors que le bleu sans fond de la région du souverain Oiseau me projette à travers la matière et l’espace vers un monde imprévisible et secret comme la langue universelle des signes primordiaux.
Quels sont les mots à écrire ? Les mots qui me montent aux lèvres traversent une mer sans bruit. Je vois l’aube s’habiller de rosée sur l’aile limpide de l’oiseau. Et je découvre qu’il est venu au monde dans les mains de celle qui a dessiné pour lui leur maison de plumes vertes. Le point du jour, fait de longues plages de sable ocre, ferme sa main de vie sur eux, en passant, et les laisse glisser dans le bleu de ses lignes.
Je prends soudain une feuille de papier, sur laquelle je note une suite de mots : l’aile gauche (comprendre) - l’aile droite (connaître) – l’oiseau (aimer). Je m’arrête, pensif, et j’enroule la moitié de mon cœur dans leurs voiles noires et reporte mon regard sur le blanc de la surface non imprimée. Et là ? Et là je comprends que le blanc de la surface est une terre cachée, une image idéale sur le sable fin des lettres ailées. Pour une seconde d’éternité, j’ai l’impression d’être un battement d’ailes plongé dans l’infini bleu de l’eau, une eau du ciel d’où sortent des invitations à des clartés.
Un rectangle de papier blanc s’accorde si bien à ce que l’on a individuellement d’unique. L’essentiel a sa forme en-dedans et l’apparent en-dehors. Instants et espaces couleur d’encre en allés.